samedi 17 mars 2012

Langoustine des prés

Loïc Josse, écrivain droguiste, a concocté pour moi, un texte sur la bête dont on ne doit pas dire le nom, qui accompagnera l'image de lapin au muséum de Blois, j'en retranscrit ici la version intégrale.






"Le vocabulaire maritime fait assez souvent référence aux animaux, et nombre d’appellations les évoquent à bord. On trouve ainsi la queue-de-rat, qui est une façon de terminer un cordage ; la barbe-de-chat, ou manière de mouiller sur deux ancres ; le trou-du-chat, passage aménagé dans la hune.
La chatte est une sorte de grappin, tandis que l’étrange coq-souris, également appelé lèchefrite est une voile qui s’utilise au portant. Elle est également appelée lèchefrite, bien qu’elle n’ait rien à voir avec le cuisinier, ou maître coq. Les perroquets et perruches sont des voiles hautes, placées juste sous les cacatois.
Le renard permet d’établir son estime, tandis que le canard désigne un navire aux formes ratées ou au chargement mal équilibré, qui plonge par l’avant et ne se relève qu’avec peine.
Le loup a donné naissance à la fois à la dent de loup, ou plus simplement loup, instrument de fer ; et bien sûr à l’expression loup de mer, qui désigne un vrai marin.
On connaît le cap de mouton, fait de bois dur percé de trous recevant une estrope, et qui sert donc à rider, tandis que la jambe de chien désigne à la fois une pièce de charpente de la voûte et une sorte de nœud, tout comme le nœud de vache, celui de gueule- de- raie, celui de tête d’alouette ou enfin de cul-de-porc.
Mais on trouve aussi à bord le vît-de-mulet, pièce fixée en bout du gui, ou bôme, de la grand-voile.
Les dictionnaires de marine anciens évoquent encore les yeux de bœuf, orifices par lesquels passe l’itaque de beaupré, ainsi que les yeux de pie, trous ménagés dans la bordure de la grand-voile pour pouvoir y fixer les bonnettes.

On trouve même à bord, n’en déplaise à certains… l’oreille de lièvre, qui réfère à une voile dont le point de drisse tient un angle dressé en hauteur, comme une oreille de rongeur, à savoir une voile latine.
Eh bien, nous y voilà !
Quand bien même nous évitions prudemment toute allusion à la « bête à grandes oreilles », afin de ne fâcher aucun de nos amis qui naviguent et prennent assez de risques à la mer pour ne pas leur en faire subir un de plus, nous sommes tombés dans le piège tendu par Maëlle !
Vous nous avez compris, ce n’est pas que l’on soit superstitieux, mais l'occupant des clapiers, que l’on nomme à regret, du bout des lèvres, « peuleu-peuleu », « cousin du lièvre », « bête à grandes oreilles », voire même à Cancale « langoustine des prés », n'a qu’à y rester.
Chacun sait bien que toute référence à cet animal honni, à ce quadrupède porteur de malheur, doit être bannie à bord des navires.
L’origine de cette croyance se perd dans la nuit des temps, certains auteurs prétendent que ces rongeurs auraient détérioré les œuvres vives des navires au point de causer des naufrages ; l’hypothèse n’est pas très convaincante ; les rats sont bien plus actifs a priori.
Mais la crainte de l’animal est très répandue, y compris de nos jours, et notamment parmi les marins-pêcheurs, parfois suspectés de trouver dans la vision matinale d’une « bête » traversant leur route le bon prétexte pour rester au bistrot plutôt que d’aller à la mer.
Un club nautique bien connu de la région de Loguivy-de-la-mer n’a-t-il pas lancé fin 2011 une sorte de « fatwa » contre un droguiste de marine accusé de vendre des « bêtes » en peluche ?
Mon ami Marc Hertu, pour sa part, patron de pêche et pourfendeur déclaré de toute superstition, s’est laissé aller un matin où le moteur de son bateau ne démarrait pas, à crier dans le compartiment machine « Lapin, lapin ! »… Le moteur se lança alors, sous l’œil incrédule du matelot horrifié…"


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