Pour cette dernière exposition de l’année 2025, nous avons voulu illustrer une tendance importante dans la création plastique contemporaine, celle qui pousse un grand nombre de plasticien(ne)s à récupérer des matériaux préexistants, échoués, délaissés, mis au rebut ou scories d’une activité de production, pour leur donner une nouvelle vie en les recyclant, les détournant de leur fonction naturelle ou de leur usage primitif.
Comme toujours, dans nos propositions, la diversité est au rendez-vous, que ce soit dans les démarches des artistes – récupération, recyclage et/ou détournement –, dans leurs intentions – protestation écologique, ironie plus ou moins grinçante sur la réification de l’humain, jeu, provocation… –, dans les matériaux utilisés – naturels ou industriels –, dans les techniques mises en œuvre – assemblage, tissage, fusion, hybridation… – ou dans les productions résultantes : de l’objet tenant dans le creux de la main à l’immense installation…
Pascale Ract utilise des rebuts d’activités industrielles, artisanales ou domestiques comme matière première pour de très aériennes sculptures ou installations. Maëlle de Coux exploite les laissesmarines récoltées sur l’estran, qu’elle brode pour nous livrer des paysages oniriques ou fantastiques. Laurence Aellion transforme des déchets de matières plastiques, potentiellement polluants, en splendides proliférations coralliennes. Laurent Gongora détourne et hybride des matériaux de récupération pour nous livrer de nouvelles espèces végétales ou animales qui nous surprennent et nous déstabilisent. Angèle Riguidel nous propose une brocante ou les rayons d’une improbable quincaillerie avec des assemblages hybrides composées de fragments d’objets collectés dans des déballages de choses devenues inutiles ou dans des vide-greniers…
* * * La démarche créatrice de Laurence Aellion est à la fois esthétique et écologique. Comme beaucoup d’artistes de sa génération, elle se rebelle contre les effets mortifères de ces dizaines de millions de tonnes de déchets en matière plastique qui contribuent à créer ce sixième continent, s’étendant sur six fois la surface de la France avec une profondeur de plus de trente mètres, qui contribue à l’extinction de la vie marine, à la disparition des récifs coralliens et à la réduction de la biodiversité… Cependant, plutôt que se cantonner à une protestation sans grands échos ni effets, notre artiste a décidé de mobiliser notre attention en créant, à partir de ces rebuts en devenir, des œuvres d’art dont les apparences séduisantes ne peuvent que nous interpeller… Pour arriver à ses fins, elle collecte méthodiquement et stocke toutes sortes de déchets en matière plastique : filets, sacs, capsules, flacons, gaines de câbles, films de polypropylène… Elle les classe par types et par couleurs pour constituer un nuancier de teintes et de textures dans lequel elle puise pour ses réalisations. Elle les noue, tisse, fusionne, éclate, assemble, tricote… pour réaliser de grandes structures, présentées en suspension ou au sol. Ces installations proliférantes et turgescentes, dans des camaïeux d’une couleur unique – souvent le rouge ou le vert, mais aussi le violet et le jaune orangé –, peuvent, selon la sensibilité du spectateur, évoquer des bancs de coraux, des anémones de mer, des viscères ou des végétaux ayant subi d’improbables mutations génétiques. Par son travail, Laurence Aellion veut « rendre tangible l’abstrait, rendre admissible la controverse, rendre audible le cri strident d’une planète en alerte. » Elle détourne ainsi des débris voués à polluer une Nature qui en étouffe et les restitue à leurs consommateurs sous une forme acceptable, voire ludique, les exhortant à assumer leur responsabilités, collectives et individuelles…
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Les laisses de mer, c’est tout ce que le va-et-vient des marées dépose en haut des plages. Ces amas qui dessinent de longues lignes hésitantes sur l’estran, Maëlle de Coux les aborde d’abord comme une source d’inspiration et d’interrogation. Et, spontanément, les laisses deviennent un support matériel à son travail qu’elle conjugue à sa pratique de la broderie bigoudène. Dans ses Laisses, elle assemble les fragments de matières et les algues collectés sur le rivage pour composer des paysages oniriques faits de couleurs délavées et de formes sensorielles. Ce n’est pas seulement une mise à l’honneur de la richesse sous-marine, c’est aussi une mise en poésie. De la mer, l’artiste cherche à nous faire ressentir la tactilité ou, comme elle l’explique, la variété des « formes, des matières, des couleurs, des odeurs et des goûts. » Ailleurs, dans ses Collerettes brodées, les laminaires prennent la place du tulle pour former des fraises, des tours de cou, des colliers et autres apparats. À sa façon, Maëlle de Coux donne à ces algues délaissées une allure de haute couture dont le résultat oscille entre élégance et monstruosité. Dans l’ensemble de son travail, elle interpelle doucement le spectateur, le confronte à sa propre histoire, afin d’en faire un compagnon de plongée. Ensemble, ils explorent les abysses du rêve et de l’imaginaire.
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Le travail de Laurent Gongora s’articule autour de collectes d’objets les plus divers pour constituer de modernes cabinets de curiosités. Certaines pièces sont laissées telles que trouvées, d’autres sont transformées ou hybridées. L’artiste déclare : « Les cabinets de curiosités et leurs légendes, officielles ou personnelles, me touchent et je perpétue encore adulte une pratique enfantine, celle de glaner et collecter des objets aux détours des chemins. J’aime présenter ces trophées et laisser l’ambiguïté à la première lecture sur leur nature et leur provenance. Certains d’entre eux subissent mon intervention, d’autres au contraire sont des ready-mades, à haut potentiel d’interprétations, mon rôle d’artiste étant réduit dans ce cas précis à celui de passeur. » Ici les fragments de la fonte du pare-brise d’une voiture brûlée prennent l’aspect de coquilles d’une espèce d’huître nouvelle et insolite. Là, une grande feuille de laurier du Portugal, découpée et lacérée, se transforme en plume d’un gigantesque et improbable oiseau. Là encore, des morceaux de troncs ou de branchages, revêtus de peau de vache, de chèvre ou de cheval, se muent en des êtres hybrides qui suscitent attraction ou répulsion, selon la façon dont le spectateur les considère… Laurent Gongora dote ses productions de désignations latines techniquement factuelles mais fantaisistes, à la manière dont les naturalistes le font pour leurs propres découvertes. Dans tous les cas, il met en évidence les affinités et la perméabilité entre les règnes minéral, végétal et animal. Plus généralement, dans ses œuvres, le doute subsiste toujours entre ce qui est réel et ce qui relève de l’imaginaire ou de la mystification, entre un vrai et un faux… Une façon d’aiguiser les facultés perceptives du regardeur, en ces temps où fait et fake deviennent de moins en moins distinguables…
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Pascale Ract se déclare proche de l’artisanat, avec un souci permanent pour les matériaux, les gestes des métiers manuels, les processus du travail de création, l’intégration des produits dans leur environnement… Dans son atelier, elle fabrique ce qu’elle appelle des pièces détachées, réalisées avec des matériaux collectés – qui la touchent sans nécessairement savoir pourquoi – lors de ses voyages ou de ses promenades, puis rangés sur les étagères de son atelier, quelquefois pendant de nombreuses années, en l’attente d’une opportunité propice à leur utilisation. Elle les assemble alors dans des structures, plus ou moins grandes, souvent suspendues, parfois in situ. Dans ses sculptures récentes, elle utilise des chutes de bois de placage conservées sans idée prédéfinie de l’usage qu’elle pourrait en faire. À force de les regarder empilés, ces morceaux de bois l’ont interpellée : un appel irrésistible, déclare-t-elle. Elle les a assemblés dans des structures proliférantes suspendues. La verticalité des compositions résultantes leur confère une gravité et un volume qui faisait défaut, dans leur destination primitive, aux matériaux qui les constituent. On y perçoit aussi un écho au travail, à l’énergie des artisans dont ils sont les témoignages de l’activité. Nous sommes, chez Pascale Ract, bien au-delà d’une activité de recyclage de déchets, dans un univers de recréation plastique, de réanimation ou de revitalisation d’objets, suggérant des usages autres pour des choses qui nous sont trop familières et qui ont perdu leur âme à force d’être banalisées.
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Angèle Riguidel collecte, stocke, démonte, recycle, détourne et assemble les objets les plus divers pour leur donner une seconde vie, une dernière chance… Chaque pièce est analysée pour lui trouver la meilleure remise en valeur possible, seule ou en combinaison avec d’autres. L’artiste les traite comme les éléments d’un puzzle dont l’image finale fluctue au fil des trouvailles et des associations d’idées et de formes. Des lumières peuvent y être intégrées pour leur (re)donner une âme et les faire entrer dans le domaine de l’insolite et de la magie. Ainsi recyclés, ces rebuts condamnés à l’oubli racontent une autre histoire, sans rapport avec leur vocation originelle. Dans certaines installations, elle propose un parcours immersif, faussement végétal, qui rend hommage à une Nature luxuriante et séduisante sous la forme d’un jardin extraordinaire, mais sensibilise aussi le spectateur aux méfaits de la surconsommation. Ailleurs, elle présente ses objets reconstitués comme des pièces que l’on pourrait acheter sur l’étal d’un brocanteur ou dans les rayons d’une improbable quincaillerie. À l’instar de sa caravane Gam’in qui rassemblait un certain nombre d’objets récupérés et remontés, elle nous propose un univers étrange où des poupons lumineux côtoient des peluches, des jeux de société, des pièces d’outillages détournées de leur usage primitif, des consoles désuètes, des robots vaguement anthropomorphes… pour créer un espace simultanément accueillant et intrigant, un lieu où jeunes et moins jeunes peuvent retomber en enfance en toute liberté…
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